Safi: le poids de la géographie et les erreurs criantes de l'aménagement urbain
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Safi: le poids de la géographie et les erreurs criantes de l'aménagement urbain

## Safi : Anatomie d’une catastrophe – Quand le risque hydrologique révèle les failles de l’aménagement urbain

Les inondations dévastatrices qui ont frappé la ville de Safi en ce tragique dimanche 14 décembre ont laissé derrière elles un bilan humain particulièrement lourd, soulevant une série d’interrogations cruciales. S’agit-il d’une défaillance structurelle du réseau d’assainissement urbain, ou bien d’un événement météorologique d’une violence exceptionnelle ? L’analyse des faits révèle une convergence de facteurs.

La cité côtière est en deuil après cette journée marquée par des précipitations d’une intensité inouïe, qui se sont abattues sur la ville à partir de 15h. Le décompte provisoire des victimes est dramatique, atteignant 37 décès au moment de la rédaction de cet article, tandis que les opérations de recherche se poursuivent.

Selon les données de la Météorologie nationale, Safi a reçu près de 19 mm de pluie en l’espace d’une heure (entre 15h et 16h), pour un cumul de 46 mm sur 24 heures. Ce volume, bien qu'important, ne semble pas être le seul responsable de l'ampleur du drame, surtout si l'on compare ce chiffre à celui de Tétouan, qui enregistrait simultanément plus de 50 mm en une seule heure. Ce constat suggère fortement que, au-delà de la seule intensité pluviométrique, des facteurs structurels et environnementaux ont largement contribué à cette tragédie sans précédent.

### La colère et le poids de l’Oued Chaaba

L’émoi des habitants se transforme en colère, pointant du doigt les autorités locales et le manque criant d’entretien du canal de l'Oued Chaaba. Ce cours d'eau, qui longe l'ancienne médina — l'une des zones les plus touchées — cristallise toutes les tensions.

Safi est historiquement établie sur les rives de l’oued Chaaba, qui se jette dans l’Atlantique. Les évaluations des aléas naturels ont toujours désigné cet oued comme la principale menace hydrologique pour la ville, en particulier lors des années très pluvieuses, comme ce fut le cas dans les années 90. Aujourd’hui, le cours d'eau menace directement les quartiers bâtis à proximité de son embouchure, notamment l’ancienne médina et les zones traditionnellement dédiées à la poterie, comme le souk Bab Chaaba et le quartier de Fekhara.

D'un point de vue géomorphologique, la région de Safi présente des formations karstiques (roches calcaires) qui complexifient le drainage des eaux, lesquelles s’infiltrent dans le sous-sol avant de resurgir de manière imprévisible sous forme de sources. De plus, la cartographie des risques de Safi indique clairement que les zones les plus exposées aux coulées de débris (mélange d’eau et de sédiments) se situent le long du lit de l’oued Chaaba et dans le nord-ouest de la ville.

Toutefois, une rumeur majeure a été rapidement écartée par les experts : l’effondrement ou la rupture du barrage de Sidi Abderahmane. Cette allégation est fausse, car le barrage fonctionne par simple rétention jusqu’à pleine capacité, et aucune défaillance structurelle n'a été observée.

### L’urgence d’une inondation urbaine

Les avis préliminaires des spécialistes sondés convergent : il s’agit d’une inondation de type urbain. L'épisode torrentiel a saturé le réseau d’assainissement, une situation dramatiquement aggravée par la montée rapide et concomitante des eaux de l’oued Chaaba. Les relevés satellitaires confirment que le cœur des précipitations les plus intenses se situait précisément au centre et au nord de la ville dans l'après-midi du drame.

Bien que Safi ait des antécédents d'inondations, l'accélération du réchauffement climatique intensifie la fréquence et la brutalité des phénomènes extrêmes. Ces événements, autrefois considérés comme « centennaux », sont appelés à se reproduire plus souvent. La catastrophe rappelle que le risque naturel peut émaner d'un cours d'eau, même modeste ou temporaire, soulignant l’impératif de revoir les stratégies d'adaptation aux aléas.

Ce constat s’impose avec d’autant plus d’urgence dans le contexte marocain, où le risque est double dans les zones côtières en raison de la forte concentration démographique et des grands centres urbains le long du littoral.

### Le dilemme de l’aménagement et du patrimoine

Dans le cas précis de Safi, il est manifeste que le noyau ancien de la ville se trouve dans une zone à très haut risque d'inondation, étant situé en aval de l’Oued à faible altitude et sans protection adéquate contre les crues.

Cependant, la zone sinistrée représente un patrimoine historique et un moteur socio-économique essentiel pour la population. La décision de déloger ces quartiers est donc extrêmement difficile à prendre.

En matière de gestion des risques, Safi est pourtant une ville couverte par une carte d’aptitude à l’urbanisation, qui délimite les zones constructibles et non constructibles. Le plan d’aménagement, homologué en 2019, intègre une prise en compte modérée des risques naturels, imposant notamment une servitude *non aedificandi* (interdiction de construire) aux abords de la vallée de l'Oued Chaaba, en attente d'une délimitation plus précise des zones inondables par l'agence du bassin hydraulique.

Pour toute nouvelle parcelle contiguë à la vallée, l’obtention d’un avis favorable du bassin hydraulique est obligatoire, de même qu’une étude géotechnique est requise pour garantir l’adéquation des systèmes de fondation.

Afin d’éviter de futures tragédies, une action nationale s’impose. Il est crucial que le pays sensibilise massivement la population aux dangers auxquels elle est confrontée, mobilisant à cet effet la société civile et la communauté scientifique. Cela passe notamment par la publication et la vulgarisation des cartes d’aptitude à l’urbanisation, favorisant ainsi un suivi rigoureux des risques et la recherche de solutions adaptées et proactives, région par région.