Safi : la vérité du 14 décembre, autopsie des faits contre les rumeurs
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Safi : la vérité du 14 décembre, autopsie des faits contre les rumeurs

# Le drame de Safi : Décryptage des faits et déconstruction des mythes après les inondations

Le déluge qui a frappé Safi le 14 décembre a laissé derrière lui une profonde cicatrice et a immédiatement engendré une spirale de spéculations et d'interprétations contradictoires. Alors que la tragédie a coûté la vie à 37 personnes, les plateformes sociales sont rapidement devenues un terrain fertile pour la désinformation. Pour tenter de rétablir une lecture objective de l'événement, il est impératif de soumettre les hypothèses les plus répandues à une analyse factuelle rigoureuse.

Comme nous l'avions précédemment souligné, il serait réducteur d'imputer cette catastrophe à une cause unique. Le scénario de Safi fut le résultat d'une conjonction de facteurs aggravants : une situation géographique vulnérable de la médina, la fragilité avérée du réseau d'assainissement, et l'intensité sans précédent d'un événement climatique extrême. Ce constat est d'autant plus troublant que la vulnérabilité aux risques naturels, notamment les inondations, était clairement documentée dans les outils de planification urbaine, y compris le plan d’aménagement de 2019.

Si l'heure est venue d'évaluer l'efficacité des mesures prises par les autorités pour prémunir la ville contre les différents aléas (glissement de terrain, invasion marine, crues), une grande partie du débat public s'est concentrée sur des points techniques spécifiques qu'il convient de décrypter.

### Mythe 1 : Le cours dévié de l'Oued Chaâba

Une affirmation largement relayée sur les réseaux sociaux prétend que l'Oued Chaâba s'écoule naturellement sous l'ancienne médina pour se déverser près du marabout de Sidi Boudhab. Cette information est manifestement erronée, comme l'attestent les cartes d'urbanisation de la ville.

Le tracé naturel de l'Oued Chaâba contourne en réalité Bab Chaâba pour se diriger vers Borj Sloqia, son exutoire originel dans l'océan Atlantique. Néanmoins, l'aménagement du port a modifié cette dynamique. L'installation de brise-lames formant le môle a obstrué le passage direct, forçant la redirection des eaux vers une galerie artificielle située à environ 250 mètres au sud, à proximité de Sidi Boudhab. Des séquences vidéo prises après le drame ont même montré le retrait de certains brise-lames pour faciliter l'évacuation hydraulique.

De plus, l'examen des images satellitaires près de Sidi Boudhab révèle qu'une ancienne canalisation, qui s’avançait au-delà des brise-lames dans la mer, a été remplacée en 2019 par un nouvel ouvrage plus proche du littoral, intégré aux dispositifs de protection.

### Mythe 2 : Le bloc de roche responsable

Un autre point de friction concernait la présence d'un obstacle rocheux (estimé entre 250 kg et 1 tonne), visible sur des images satellites depuis 2021, qui aurait bloqué l’écoulement.

Il paraît irrationnel d'attribuer une catastrophe d'une telle ampleur à l'existence d'un simple bloc rocheux. La physique hydraulique contredit cette hypothèse : face à des crues rapides et diluviennes, la puissance du flux rendrait un tel obstacle dérisoire, voire susceptible d’être emporté.

Le véritable enjeu n'était pas l'efficacité d'un éventuel blocage isolé, mais plutôt la capacité structurelle des galeries existantes. Leur saturation rapide, exacerbée par les contraintes géographiques liées à l'implantation historique de la médina et la configuration du port (brise-lames, infrastructures routières), a conduit au débordement et à la redirection des eaux vers le port. L'intensité exceptionnelle des précipitations a entraîné le déversement de volumes colossaux de boue, submergeant inéluctablement les infrastructures de drainage.

### Mythe 3 : Le lâcher d’eau du barrage Sidi Abderrahmane

Des rumeurs ont également accusé les responsables du barrage Sidi Abderrahmane d’avoir procédé à un lâcher d’eau, amplifiant ainsi la crue de l’Oued Chaâba.

Ce scénario est invraisemblable. Le bassin versant de l'Oued Chaâba, alimenté par plusieurs affluents convergents au nord de Safi, est naturellement prédisposé aux crues rapides. Le barrage Sidi Abderrahmane n'est pas principalement un réservoir d'eau, mais un ouvrage destiné à la *régulation* et à la *protection* contre les crues. Sa fonction première contredit l'idée d'une ouverture délibérée qui aurait provoqué la catastrophe.

L'analyse des images satellite confirme cette déduction : le réservoir était pratiquement à sec avant l'épisode pluvieux. Si son niveau a augmenté par la suite, il est resté bien en deçà de sa pleine capacité. En outre, la crue a affecté des zones éloignées de Bab Chaâba, comme le club de tennis de Biada ou la zone de Fekhara, démontrant que l'origine du débordement était en amont, non un blocage en aval.

### Vers une adaptation urgente

Face à cette série de constats et à la double nécessité de préserver un patrimoine historique précieux (la médina) et une activité économique vitale (le port de pêche), une refonte du système de drainage est désormais une urgence absolue. Une solution cohérente exigerait l'élargissement des galeries actuelles, complété par la création de nouveaux exutoires entre Sidi Boudhab et la jetée du port.

En attendant les conclusions de l’enquête officielle, essentielle pour identifier d’éventuelles responsabilités et dont la publication est vivement souhaitée, l'attention immédiate doit se porter sur l'accompagnement des sinistrés.

Plus largement, l'intensification des phénomènes climatiques extrêmes impose une réévaluation nationale de nos stratégies d'adaptation. L'incertitude croissante quant à la localisation des prochains épisodes de dérèglement climatique nécessite de revoir nos plans de résilience sur l'ensemble du territoire, et ce, sans délai.